L’intelligence artificielle (IA) suscite fascination et inquiétude.
Dans le monde professionnel, elle s’immisce progressivement, modifiant les processus, les tâches et le rapport au travail.
Pour les salariés, elle peut être une source d’optimisation ou de fragilité selon le cadre dans lequel elle est utilisée.
Adoption croissante… mais encore mesurée
En France, l’usage de l’IA dans les entreprises progresse, mais reste limité à une minorité d’entre elles.
D’après l’INSEE (2024), 10 % des entreprises de 10 salariés ou plus déclarent utiliser au moins une technologie d’IA, contre 6 % en 2023.
Cette adoption est plus forte dans les grandes entreprises : 33 % des structures de plus de 250 salariés utilisent l’IA, notamment dans les secteurs de l’information et de la communication.
Selon l’OPIIEC (Observatoire des métiers et des emplois de l’Ingénierie, de l’Informatique et du Numérique), 64 % des entreprises utilisent déjà des solutions d’IA, et 88 % prévoient d’y recourir dans les trois prochaines années.
Ces chiffres montrent que l’IA est en train de devenir une composante réelle du paysage technologique des entreprises et non plus une simple promesse.
Opportunités : gain de productivité et libération des tâches répétitives
L’un des arguments les plus souvent avancés en faveur de l’IA est la réduction des tâches répétitives, permettant aux salariés de se recentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée.
Selon Vie-Publique, l’IA peut libérer du temps administratif dans les services publics, pour que les agents se consacrent davantage à l’accompagnement personnalisé.
Des enquêtes montrent également que l’IA est perçue comme un levier d’efficacité :
le CESE rapporte qu’une enquête OpinionWay (2023) révèle que 63 % des cadres et 48 % des employés estiment gagner en productivité grâce à l’IA.
Mais ce gain n’est pas distribué équitablement.
Le baromètre APEC (juin 2025) indique que 35 % des cadres et 42 % des managers utilisent l’IA au moins une fois par semaine pour des tâches telles que la collecte de données ou la rédaction de synthèses.
Pour que cette opportunité ne devienne pas une menace, il faut un cadre clair, des formations adaptées et une évolution des droits.
Menaces et défis : automatisation, inégalités et formation insuffisante
Automatisation et risques de remplacement
Le dossier du gouvernement sur les impacts de l’IA note que certains métiers notamment les tâches administratives ou marketing pourraient voir une réduction d’emplois dans les professions intermédiaires à cause de l’automatisation.
Le CESE affirme que l’IA pourrait se substituer à 33 % des emplois, tandis que 27 % bénéficieraient d’une complémentarité accrue.
Des études récentes montrent que même les métiers qualifiés ne sont pas totalement à l’abri.
Dans certains cas, les travailleurs à hautes compétences pourraient voir une partie de leurs tâches automatisée, modifiant les dynamiques salariales et la valeur de certaines expertises.
Inégalités d’appropriation et fracture numérique
Un point crucial : seuls 9 % des salariés français rapportent l’existence d’une charte éthique ou d’un comité interne dédié à l’IA dans leur entreprise.
Par ailleurs, 58 % des salariés déclarent avoir déjà utilisé l’IA au travail souvent de manière informelle et non encadrée.
Cette adoption sélective peut creuser les écarts entre les salariés formés aux outils et ceux laissés à l’écart, renforçant ainsi les inégalités internes.
Le manque de formation adaptée
Malgré une adoption croissante, la formation reste en retard.
Le baromètre APEC souligne que seulement 24 % des cadres ont déjà reçu une formation à l’IA, alors que 72 % en expriment le besoin.
Or, la législation impose une obligation de formation pour permettre aux salarié·es de s’adapter aux évolutions de leur poste.
Lorsqu’un outil d’IA est déployé, l’employeur doit former tous les salariés concernés.
Droits et garanties : ce que les syndicats doivent défendre
Pour que l’IA serve les salariés et non les fragilise, la CFTC doit porter des exigences fortes :
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Consultation préalable du CSE sur l’introduction d’outils d’IA affectant les conditions de travail, la santé ou les méthodes d’évaluation.
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Transparence sur les paramètres de l’outil : quelles données sont utilisées ? Pour quels objectifs ?
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Formation obligatoire et continue pour tous les salariés concernés, sans distinction de statut.
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Protection contre les biais et discriminations, afin que l’IA ne reproduise pas les préjugés existants.
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Accompagnement en cas de réorganisation, avec dispositifs de reconversion, reclassement et soutien psychologique.
En guise de conclusion
L’intelligence artificielle en entreprise n’est ni un ennemi automatique ni un miracle universel.
Tout dépend du cadre social et humain dans lequel elle est déployée.
Si elle peut libérer les salariés de certaines tâches répétitives, elle peut aussi creuser les inégalités, accroître les risques d’automatisation et fragiliser ceux qui ne sont pas préparés.
Pour la CFTC, l’IA doit être un outil au service du travailleur, et non un plus-fort que lui.
Ce chantier imposera vigilance, ambition syndicale et engagement concret dans les entreprises.