Travailler, c’est aussi savoir s’arrêter.
Entré dans le Code du travail en 2017, le droit à la déconnexion devait marquer un tournant dans la protection des salariés à l’ère du numérique.
Huit ans plus tard, le constat est sans appel : la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle reste floue, et beaucoup d’entreprises peinent encore à appliquer ce principe pourtant essentiel à la santé mentale des travailleurs.
Un droit reconnu mais encore théorique
Le Code du travail (article L2242-17) impose aux entreprises de plus de 50 salariés d’ouvrir une négociation annuelle sur la qualité de vie au travail et sur les modalités d’exercice du droit à la déconnexion.
Concrètement, il s’agit de fixer des règles précises pour éviter les sollicitations hors temps de travail : courriels tardifs, appels le soir ou le week-end, messageries professionnelles sur smartphone, etc.
Pourtant, selon une étude Ifop pour Wittyfit (2024), 62 % des salariés français disent continuer à consulter leurs messages professionnels en dehors de leurs horaires.
Pire encore, un salarié sur trois répond systématiquement à ses e-mails le soir.
Ces chiffres montrent que le droit existe… mais qu’il reste trop souvent théorique.
Une culture du “toujours connecté”
Les nouveaux modes de travail, télétravail, flex office, outils collaboratifs — ont bouleversé la frontière entre sphères privée et professionnelle.
Selon une enquête de la Dares (2023), près de 40 % des cadres affirment travailler au moins une fois par semaine le soir ou le week-end.
Le phénomène s’accentue dans les entreprises où la culture de la performance prime sur la qualité de vie au travail.
L’INRS (Institut national de recherche et de sécurité) rappelle que l’hyperconnexion génère fatigue, stress, troubles du sommeil et surcharge mentale.
Le cerveau n’a plus de véritable phase de récupération, et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle s’effondre.
Le rôle du dialogue social
Pour la CFTC, la déconnexion ne doit pas reposer uniquement sur la responsabilité individuelle du salarié, mais bien sur un cadre collectif clair et respecté.
Les représentants du personnel ont un rôle clé à jouer pour instaurer ce cadre :
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Négocier des plages de déconnexion effectives dans les accords QVT (Qualité de Vie au Travail) ;
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Mettre en place des chartes internes rappelant les bonnes pratiques numériques ;
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Former les managers pour changer les habitudes de communication et prévenir les excès.
Certaines entreprises ont déjà franchi le pas :
-coupure automatique des serveurs mail à 20 h,
-notifications suspendues le week-end,
-messageries déconnectées pendant les congés.
Des mesures simples, mais efficaces, qui doivent devenir la norme plutôt que l’exception.
Redonner du sens au temps de repos
Le droit à la déconnexion, c’est avant tout le droit de se reposer.
Et au-delà du bien-être, c’est aussi une question de performance durable.
Un salarié épuisé, sollicité en permanence, devient moins efficace, moins créatif et plus exposé aux risques psychosociaux.
Comme le résume la CFTC :
“Travailler, c’est aussi savoir s’arrêter.”
Pour que ce droit devienne une réalité, il faut un engagement fort des directions, un accompagnement des managers et une vigilance constante des représentants du personnel.
Le numérique n’est pas un ennemi, mais il doit rester un outil, et non un fil à la patte.

