Entre réussite chiffrée et réalités contrastées, l’apprentissage révèle les forces et les fragilités du modèle français de formation.
Depuis plusieurs années, l’apprentissage s’impose comme une voie privilégiée vers l’emploi.
En 2024, la France a franchi un nouveau record avec plus de 990 000 apprentis inscrits, selon le ministère du Travail.
Un chiffre historique, salué par l’ensemble des acteurs de la formation.
Mais derrière ce succès statistique, une question demeure : toutes les conditions sont-elles réunies pour que l’apprentissage tienne réellement ses promesses ?
Une réussite quantitative indéniable
L’apprentissage a connu une croissance spectaculaire ces dernières années.
En 2018, on comptait à peine 400 000 apprentis. Six ans plus tard, leur nombre a plus que doublé.
Cette progression s’explique par plusieurs facteurs :
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les aides financières massives accordées aux entreprises,
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la simplification des démarches administratives,
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et une valorisation progressive de la voie professionnelle auprès des jeunes et des familles.
Selon une étude de la Dares (2024), près de 70 % des apprentis trouvent un emploi dans les six mois suivant la fin de leur contrat — un taux nettement supérieur à celui des diplômés de la voie scolaire classique.
Les secteurs de l’industrie, du BTP, du commerce et des services concentrent la majorité des contrats, mais le supérieur (licences, masters, écoles de commerce) connaît lui aussi une forte dynamique.
L’apprentissage est donc devenu un vecteur d’insertion à part entière, contribuant à réduire le chômage des jeunes.
Des conditions parfois précaires
Derrière ces bons chiffres, la réalité reste plus contrastée.
De nombreux jeunes apprentis témoignent de difficultés matérielles et sociales :
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des rémunérations faibles (de 471 € à 1 675 € selon l’âge et le niveau),
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des logements inaccessibles dans les grandes villes,
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et parfois des conditions de travail proches de celles des salariés, sans reconnaissance équivalente.
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) alerte régulièrement sur ces dérives :
“L’apprentissage doit rester une formation, pas une main-d’œuvre bon marché.”
De son côté, l’Inspection du travail rappelle que certains jeunes effectuent des tâches sans lien direct avec leur diplôme, ce qui constitue une infraction au droit du travail.
Autre enjeu : l’encadrement pédagogique.
Le Haut Conseil à l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (HCERES) souligne d’importantes disparités dans la qualité des formations et dans l’implication des maîtres d’apprentissage.
L’efficacité du dispositif repose sur cet accompagnement humain, trop souvent négligé.
Un enjeu d’égalité et de dignité
Pour la CFTC, l’apprentissage ne doit pas être une simple passerelle vers l’emploi, mais un véritable parcours de montée en compétences.
Le syndicat défend une vision exigeante : celle d’un dispositif où le jeune apprend, progresse et s’intègre durablement.
Pour cela, plusieurs conditions doivent être garanties :
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un tuteur formé et disponible,
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des missions pédagogiques en lien direct avec le diplôme préparé,
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des horaires compatibles avec les obligations scolaires,
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un accompagnement social sur le logement, le transport et la santé.
La CFTC plaide aussi pour une revalorisation du salaire des apprentis, notamment dans les grandes métropoles où le coût de la vie rend le dispositif difficilement soutenable.
Car l’apprentissage doit être une opportunité équitable pour tous, pas un luxe réservé à ceux qui peuvent se le permettre.
Un modèle à consolider
L’apprentissage a démontré son efficacité :
il favorise l’insertion, lutte contre le décrochage et permet à de nombreux jeunes de découvrir concrètement le monde du travail.
Mais pour qu’il tienne toutes ses promesses, il doit rester une formation avant tout, et non un outil de flexibilité économique.
Comme le rappelle la CFTC :
“Former un jeune, ce n’est pas seulement le recruter pour un an, c’est l’accompagner pour l’avenir.”
L’enjeu n’est donc pas seulement de former plus, mais de former mieux — avec des conditions dignes, un encadrement solide et une reconnaissance réelle du rôle des apprentis dans l’économie française.

